Blog de Pierre
Assouline En général, les écrivains fils d’écrivains font tout pour s’en détacher tant cette ombre tutélaire leur paraît pesante. Cela va souvent jusqu’au rejet, voire jusqu’au reniement honteux, et même au meurtre symbolique. Lionel Marek, c’est le contraire. Il a le sentiment d’avoir contracté une telle dette auprès de son père aimé et admiré, Jacques Sternberg, qu’il vient de lui édifier un autel bien dans l’air du temps : un blog à lui entièrement consacré. D’ailleurs, afin d’afficher la couleur et qu’il n’y ait pas d’ambigüité, il l’a intitulé “ Lionel Marek, fils de Sternberg”. Tout simplement. De quoi parle-t-il ? De son père, ce héros, leurs rapports, leurs livres, leur correspondance… Il se trouve que je l’ai connu autrefois aux éditions Balland. L’écrivain le plus décontracté qui soit, vêtu en marin breton été comme hiver, ne se déplaçant qu’à dos de Vélosolex, drôle et provocateur, précédé d’un éclat de rire communicatif, autant passionné de voile que de littérature, doté d’une imagination explosive, plus insolite qu’excentrique. Il se disait désabusé et peu facile à éblouir par l’écriture. On ne s’ennuyait pas avec lui tant son enthousiasme était emballant. Il traînait toujours dans son sillage un je-ne-sais-quoi de liberté et d’indépendance qu’on lui enviait.
Il avait touché à tous les genres relevant du stylo, des romans, des pièces,
des essais, des dictionnaires, des pamphlets et même au scénario avec Je t’aime,
je t’aime d’Alain Resnais, mais c’est dans la nouvelle qu’il excella.
Il en écrivit un bon millier. Comme il lui était arrivé de signer sous
pseudonyme, lorsque son fils publia son premier roman en 1982 L’an prochain à
Auschwitz, on crut à un nouveau coup de Sternberg, ancien du groupe
Panique (avec Topor, Arrabal et
Jodorowsky), mais non. Le fils existait bien. Des
livres, il en signa d’autres, le plus récent l’an dernier chez Verticales sous
le titre tuez-moi. Aimer le père ou le tuer, il a choisi. On n’a pas
fini d’en entendre parler car j’ai dans l’idée que son blog est un signe
annonciateur de la réimpression de l’œuvre du grand prolifique. Tant
mieux. D’ailleurs, c’est déjà en route puisque les éditeurs strasbourgeois de
La dernière goutte ont récemment réédité Le Délit et rééditeront au
printemps prochain Un Jour ouvrable. Je sens que la France ne va pas
tarder à s’annexer un grand Belge injustement méconnu. Et voilà que me revient
en mémoire, l’air de rien, ce passage que j’avais piqué dans l’un de ses
innombrables contes tant il m’avait plu, pour le placer en épigraphe de
mon deuxième livre Les nouveaux convertis en 1982 : “Un jour, cette jeune
femme, comme d’autres attrapent la grippe, contracta la foi. Une semaine plus
tard, elle prenait le voile. Comme il soufflait ce jour-là, un vent de
force 4 établi au nord-ouest, elle gagna le large, puis la haute mer et
personne ne la revit jamais”. Quand on vous disait qu’il n’était bon
qu’à ça, Sternberg : écrire et naviguer. Hormis le bitume parisien, il n’aimait
que la mer, la vraie, qu’il parcourait en dériveur léger, le solex des
océans.
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