bulletin7, extension 10, ombres

Ombres et scintillements de l’expressionnisme


Une actualité qui ne semble n’avoir aucun rapport avec l’édition des récits inédits de J. Sternberg est la publication qui va enchanter les happy few et cinéphiles de toujours du domaine de l’Etrange : la réédition augmentée de la revue Midi-Minuit Fantastique, sous la direction de Nicolas Stanzick et de Michel Caen. Hors il se trouve que le même J. Sternberg dont nous nous occupons ici même depuis quelque temps figurait au comité de rédaction de la revue de cinéma aujourd’hui rééditée. Sternberg et Caen ont même fait un peu de route en commun, à Plexus (autre revue mythique des années 60), en redécouvrant les trésors de la bande dessinée (une mémorable anthologie Planète qui date de 1967) et j’en passe. Dans Plexus n°2 de juin-juillet 1966, Sternberg imagine pour ceux qui n’ont pas d’imagination le jeu de devenir « le King Kong de son quartier », activité ludique qui consiste à utiliser la bimbeloterie en produits dérivés du cinéma d’épouvante afin d’en rire sans se déplacer en salle de projection. Activité, insiste-t-il, bien plus saine que de confier des armes et des tanks aux enfants. C’est que m’inspire un moment cette photographie de Barbara Steele proposée dans le dossier de presse aux journalistes, une sérénité ironique diamétralement opposée à l’expressionnisme. La décadence dans la cité occidentale, la prostitution sans espoir, les lumières à travers lesquelles se faufile l’assassin, le réverbère qui va bientôt s’éteindre, les vitres des bars couvertes de buée, le rouge-à-lèvre que l’on devine exagéré quoique l’image soit en noir et blanc… quoique l’écriture ne soit pas une image et pourtant souvent plus puissante et imagée que les photogrammes que ce sont longtemps échangés les amateurs, comme de la drogue inédite passée en contrebande. Nosferatu, Metropolis, King Kong, Dracula, l’expressionnisme de ceux qui fréquentaient la Cinémathèque dans les années 50 est passé par Tod Browning, Cooper et Schoedsak, James Whale. Jean Boullet, Michel Laclos, Ado Kyrou ou Jacques Sternberg n’avaient que faire des films de la Hammer, ayant en eux ancré dans le cerveau leur répertoire de souvenirs vrais ou faux, leurs fantasmes suscités par la vision de ces films fantastiques.


On lira donc avec attention les récits inédits que notre site propose, à la lumière d’un expressionnisme du début du XX° ou des imitations et inspirations qui ont suivi tout au long du demi-siècle dont nous nous éloignons un peu il faut dire. Mais toutes ces rééditions ou inédits nous invitent à y revenir un temps, comme si le scintillement du film projeté nous faisait revenir très en arrière dans le temps.