bulletin0, extension 07, valérie

Valérie Schmidt, gardienne des atomes

Entretien avec Jacques Sternberg, présence d’Esprit, novembre 1992, Jean-Pierre Saucy et Yvonne Maillard


Présence du Futur, une institution qui compte aujourd’hui tant de fidèles admirateurs, n’est plus à présenter. Mais comment est-elle née ? Dans quel contexte ? Quelles bonnes fées veillaient sur son berceau ? que représentait la SF en ce début des fifties ? A quelle attente ce mouvement littéraire répondait-il ? comment a-t-il franchi l’Atlantique ?

Dans les pages qui suivent (où seule la mise en scène est imaginaire, les propos rapportés sont garantis authentiques), Présence du Futur se penche sur son passé, et au fil des prochains numéros, Présences d’Esprits mènera l’enquête auprès des principaux témoins de cet événement prodigieux.
 Perplexes ; nous nous interrogions sur les dernières paroles du vieux conteur. Dans son dernier souffle, nous l’avions clairement entendu murmurer ces paroles pour le moins sibyllines "Présence… du… Futur"… Or, ce sage qui avait consacré sa vie à nous émerveiller par ses récits, à ouvrir nos jeunes esprits par les aventures qu’il nous faisait vivre comme si nous y étions, qui nous avait révélé l’art magique des mots, cet homme-là, nous n’en doutions pas, avait voulu nous transmettre, par cette ultime énigme, un dernier enseignement.

"Présence du Futur"… Quel concept inquiétant… Voulait-il que nous apprenions à voyager dans le temps ? Ou encore à prophétiser ?

Le plus âgé d’entre nous rompit enfin notre méditation :

– Je me demande si Jacques Sternberg, un de ses compagnons d’enfance qui s’est depuis retiré sur la Montagne des Anciens, ne pourrait pas nous apprendre quelque chose…

C’est ainsi que nous avons commencé notre enquête et nous sommes mis à la recherche de ce premier témoin. Lorsque nous l’avons trouvé, il était selon sa vocation occupé à méditer sur l’humanité perverse. Il s’interrompit néanmoins de bonnes grâce pour évoquer le souvenir d’un temps peut-être pas encore tout à fait révolu :

– Présence du Futur ? Oui, oui, je me rappelle… C’était en 1954, rue des Beaux-Arts, à la librairie de la Balance. Valérie Schmidt, la libraire, y présentait une exposition sur la science-fiction à laquelle elle avait donné ce titre : Présence du Futur. A l’époque, c’était quelque chose de complètement inattendu. Les rares spécialistes du genre lui avaient proposé leur aide. Il y avait Stephen Spriel, dont le vrai nom était Michel Pilotin, qui avait dirigé le Rayon Fantastique pour Gallimard, alors que Gallet était directeur d’Hachette. Il y avait Raymond Queneau quoique d’assez loin, Boris Vian, d’encore plus loin, et surtout Jacques Bergier, qui s’est imposé très vite comme conseiller… C’est tout à fait par hasard que j’y ai moi-même été mêlé : je travaillais pour le Club d’Histoire dont les bureaux étaient situés au-dessus de la librairie, et ce qui se passait en-bas m’a rendu curieux. Le mot science-fiction m’était alors complètement étranger. Je connaissais le rayon fantastique, mais je n’en lisais pas et je ne me souciais pas du tout du problème de la SF. Mais ça m’a intéressé et j’ai participé à l’affaire, entre autres en prêtant quelques livres pour l’exposition de livres introuvables. Bergier, lui, avait donné sa collection de magazines mythiques comme AmazingStories, WeirdTales, auquel il était abonné depuis les années 30… Il y avait aussi du matériel électronique, un vrai (ou un faux) robot… Cette exposition connut un certain succès. Dans le même temps, Valérie avait appris qu’une collection de science-fiction "sophistiquée" était en projet chez Gallimard. Je suppose qu’elle aurait été dirigée par Stephen Spriel-Pilotin, mais c’est finalement chez Denoël qu’elle est parue, sous la direction de Robert Kanters, ancien Premier Lecteur chez Julliard (et grand ennemi de ce que j’écrivais à l’époque). Valérie a cédé à cette collection le nom de son exposition : Présence du Futur.

– Mais qu’est-ce que c’était, à l’époque, la science-fiction ? Vous n’en connaissiez rien ? Vous avez parlé du Rayon Fantastique…

– Je n’avais lu qu’une anthologie, Escales dans l’infini. Mais je n’ai découvert la vraie SF que plus tard, avec les Chroniques martiennes que j’ai énormément aimées, puis avec d’autres, Matheson, Brown, Sheckley, qui sont par la suite devenus les auteurs cultes qu’on sait.

– Le Rayon Fantastique existait depuis longtemps ?

– 1951, je crois.

– Qu’est-ce qu’on savait de la SF, à ce moment là ?

– Difficile à dire… J’ai l’impression que les intellectuels ne s’y intéressaient pas du tout. Le premier qui ait eu droit à une critique dans la presse littéraire, c’est Ray Bradbury, avec Chroniques Martiennes, et le premier grand admirateur de la SF littéraire a été Dobzinsky. Dans les Lettres Françaises, il consacrait des pages entières à la SF. Evidemment, il y avait aussi Fiction, que je lisais parce qu’il y avait beaucoup de fantastique, et qui avait une chronique critique très importante, dont le pilier était Alain Dorémieux, qui a été le premier à s’intéresser aux auteurs français. Après il y eu Galaxie, mais qui ne publiait pas de français et n’avait pas d’appareil critique. Je crois que c’était en 54… En même temps que PDF ! C’était vraiment une attaque en force…

– Ainsi, Valérie Schmidt figure parmi ces pionniers d’un imaginaire nouveau ?

– Valérie avait lu quelques livres de SF et elle est devenue la première libraire de SF, la première à croire que le SF était la grande littérature du XXe siècle.

– Cet essor de la SF était-il lié au mouvement surréaliste ?

– Non. André Breton aimait surtout la poésie et les romantiques allemands, et affichait un certain mépris pour la littérature anglo-saxonne. Je crois qu’il a manqué quelque chose d’énorme. Parce que… SF et surréalisme…

– Vous voulez dire qu’il y a une parenté, le point commun étant de chercher à décrocher du réel ?

– Oui, je trouve. Et avec Topor, on s’était rendu compte qu’on faisait du surréalisme sans le vouloir parce qu’en réalité, on détestait le réalisme !

Sur cette évocation, il s’abîma dans une profonde réflexion, le regard vague et un peu perplexe. Il semblait urgent de changer de sujet :

– Et ensuite, relança notre aîné pour faire diversion, Présence du Futur, vous l’avez vue grandir ?

Aïe, nous avions touché un point sensible. Il marqua un silence mélancolique et reprit, en s’échauffant progressivement.

– La SF, comme la "série noire" ou le dessin d’humour, sont des genres qui sont restés marginaux, alors que c’étaient les modes d’expressions les plus modernes de l’époque, parce que les universitaires français sont d’irrécupérables passéistes. Il n’y a rien à faire, ils n’ont jamais aimé le genre. Cela leur a toujours paru être un genre populaire… Populaire mon… [censuré] ! C’était beaucoup plus difficile de lire un roman de SF que de lire du Stendhal ! La critique a toujours tenu la SF dans un ghetto littéraire. Mais vous n’allez quand même pas me dire que les romans de Brown, de Sheckley ou de Matheson ne sont pas plus sophistiqués que les romans de Françoise Sagan ou de Michel Déon !

 

 

Jacques tremblait cette fois d’indignation. Nous crûmes judicieux de le ramener à de plus heureux souvenirs :

– La sortie est au fond de l’espace est le n°15 de PDF ; vous avez donc été un des tout premiers auteurs français de la collection. Comment est-ce arrivé ?

– Eh bien, j’étais au chômage et Maurice Renaud, le directeur de Fiction, m’avait conseillé d’écrire un synopsis et le premier chapitre d’un roman de SF, qu’il proposerait au Fleuve Noir. Mais De Caro l’a refusé en disant : "C’est plutôt pour PDF… mes lecteurs ne le liront pas". Il jugeait le sujet intéressant mais trop intellectuel. Chez PDF, Kanters qui connaissait bien mes manuscrits pour les avoir refusés lorsqu’il était chez Julliard, a lu mon synopsis qu’il a trouvé beau, a aimé le premier chapitre, et c’est ainsi que pour la première fois de ma vie, j’ai été mensualisé pour écrire un roman.

– C’était difficile d’écrire de la SF ?

– A vrai dire, la SF m’a fait écrire "normalement", parce que j’avais trouvé mon tremplin de délire. Je n’avais plus besoin de jouer avec les mots, les images. Il me suffisait d’écrire de façon réaliste des trucs surréalistes. J’ai donc écrit mon roman en sept mois, et j’ai compris ce qu’était suer sur un manuscrit. Finalement, Kanters m’a dit : "Je suis très content, c’est un très beau roman." Et il a ajouté cette phrase qui est devenue légendaire : "Vous voyez, Sternberg, vous que j’ai toujours trouvé nul dans vos tentatives de romans, je dois reconnaître que dans un genre mineur, vous vous débrouillez très bien. Et si vous persistez, à mon avis, vous ferez une grande carrière dans la SF".

Nous éclatâmes tous d’un rire joyeux, sauf le plus jeune d’entre nous qui n’avait pas bien saisit l’astuce et qui demanda :

– Bon, mais Présence du Futur, c’est quoi ?

– Présence du Futur, expliqua patiemment l’Ancien, a toujours été pour moi la seule collection de SF lisible, bien qu’il y ait aussi dans cette collection des auteurs que je n’arrive toujours pas à lire.

Nous demeurâmes méditatifs un long moment. Mais notre aîné, qui lui, avait tout très bien suivi depuis le début, enchaîna :

– Et si la SF n’était, elle aussi, qu’une mode destinée à disparaître ?

Jacques, qui avait retrouvé toute sa sérénité, répondit d’une voix paisible :

– Il n’y a pas de raison que la SF disparaisse… Si le roman psychologique, d’amour ou d’adultère ne s’est pas encore épuisé, il n’y a pas de raison que le roman de SF s’épuise.

Rassurés sur ce point, nous partîmes à la recherche de notre second témoin, Valérie Schmidt…

 

 

Le Minotaure, extrait du chapitre Mon futur du présent contre ton Présence du futur

(Denis Chollet, édition feel, 2001)

Ouverture de la Balance, souvenirs de Philippe Curval

« J’étais cinéphile et je fréquentais le Minotaure, se souvient Philippe Curval, et une autre librairie qui se trouvait rue de la Harpe, je crois. J’écrivais au moins depuis l’âge de quinze ans en conservant mes manuscrits pour moi, au besoin pour y revenir au moment voulu…J’avais beaucoup de livres anciens et apprenant l’ouverture prochaine de la libraire La Balance, je me suis présenté à Valérie Schmidt. Je me promenais volontiers en solex, à l’imitation de Jacques Sternberg, et j’ai repéré au cours d’une de mes virées un bloc d’aluminium chez un ferrailleur de Montreuil. On voulait marquer de façon spectaculaire l’ouverture des rayons de science-fiction. Valérie Schmidt a fait venir cette créature métalloïde et moi j’ai vendu des collections d’auteurs anciens et j’ai continué d’en chercher chez les bouquinistes des quais de la Seine, toujours avant l’ouverture proprement dite.

Pour en revenir à la constitution du stock d’ouvrages d’utopistes oubliés et d’auteurs de récits d’anticipation plus contemporains, mes habitudes chez les bouquinistes étaient déjà prises : j’avais l’œil orienté vers ce type de littérature que nous cherchions systématiquement pour ouvrir la librairie dans de bonnes conditions et j’avais aussi la main expérimentée, capable de reconnaître les cartonnages, les jaquettes… »

«  J’ai rencontré Jean Boullet, Stephan Spriel (Michel Pilotin)… Je suis devenu un peu l’initiateur de fanatiques comme Pierre Versins qui ont systématisé la documentation sur les auteurs anciens, et la redécouverte des Jacques Spitz, Maurice Renard, etc. Je travaillais alors dans la galerie de peinture de mon oncle et lorsque quelques mois après l’ouverture de la Balance le vendeur est parti, j’ai pris sa place comme assistant de Valérie Schmidt. C’était très vivant comme endroit et assez différent du Minotaure. Moi Roger Cornaille m’a paru plus cordial au début de ses occupations professionnelles que lorsque Valérie Schmidt a ouvert sa boutique, c’est à dire entre 1949 et 1953.

 On voyait donc ce robot de 2 mètres, des illustrés, des photographies de films rares, un dessin de Suzanne Roger. Comme tout écrivain qui se respecte, j’essayais de rejeter ce par quoi j’avais été influencé, le Surréalisme… et justement, la science-fiction me semblait être la seule littérature d’avant-garde possible, intégrant les modifications de la société en rapport avec l’évolution scientifique et technologique. Il s’est trouvé que pris dans le contexte de l’édition française qui essayait de regarder ailleurs que vers le roman policier qui ne se vendait pas toujours très bien, cette forme de littérature est devenue commerciale. Rappelons qu’au début les ambitions étaient autres. Vian, Queneau, Carrouges, puis Butor, Jean-Paul Clébert, Sternberg, Gérard Klein et encore d’autres fréquentaient régulièrement le lieu…Entre Alain Dorémieux et Valérie Schmidt il y avait une incompatibilité d’humeur… Se sont joints à nous sans difficulté les collectionneurs qui trouvaient là l’espace qu’il leur fallait : un rhumatologue de Rennes, un avocat qui habitait rue du Château, Jacques Bergier, je veux dire souvent des personnes qui avaient de la correspondance avec Lovecraft et des écrivains de l’époque de John W. Campbell, qui avait changé la formule de Astounding Stories, avant la seconde guerre mondiale. Dans les fauteuils de cuir confortables on discutait des heures, avec des bouteilles de Sancerre qu’on achetait dans le bistrot à côté. Valérie animait La Balance avec un grand talent et ils avaient passé un accord avec Roger afin que le rayon d’ouvrages de science-fiction du Minotaure soit réduit. Michel Laclos on l’évitait et lui de même, il y avait des incompatibilités…il m’a refusé des textes pour Bizarre. Lorsqu’elle a fermé sa librairie de la rue des Beaux-Arts et qu’elle s’est installée rue de Seine, dans une toute petite boutique en face de la rue Visconti, qui s’est appelé l’Atome, en 1958, Le Minotaure a un peu augmenté son stock. »

Les débuts de la Balance, souvenirs de Valérie Schmidt

 « Au départ, il s’agit de relations de bon voisinage. Il n’y a pas eu de Roger Cornaille à ma boutique, ni de Valérie Schmidt au Minotaure. Une courtoisie réciproque et un bonjour franc. Le lien plus serré s’est fait grâce à Philippe Curval, Jean Boullet ou Pierre Bailly, lesquels fréquentaient sa librairie depuis longtemps. La Balance existait. On y vendait les encyclopédistes. Je suis arrivée en 1952 pour gérer le rayon tel qu’il était et surveiller l’édition annuelle du livre d’art qu’avait entrepris Jean Aubier. On a eu Miro avec Leiris, Tzara, Ponge avec l’araignée mise au mur, Jouffroy… La Révolution française et les encyclopédistes étaient en faillite ou bien nous y conduisaient. Pendant un an, Jean Aubier a permis financièrement et moralement de préparer l’ouverture de la science-fiction en librairie, ce qui n’existait pas… Le triangle à quatre côtés, livre mal écrit mais excitant pour l’esprit m’a donné l’idée. Je n’étais pas particulièrement pour une défense inconditionnelle du genre, ou de l’existence d’un genre, mais au moment où je me suis aperçu que dans mon entourage il y en avait pas mal qui avait une sorte de peur au ventre, j’ai pensé que cette forme de littérature pouvait coïncider avec cette peur irrationnelle et souvent conforme aux angoisses du temps, s’agissant d’individus ayant traversé la guerre dans des conditions de chance exceptionnelle. »

Exposition présence du futur, souvenirs de Valérie Schmidt

A l’origine, un petit groupe formait un club, le club des Savanturiers, comprenant Raymond Queneau, Boris Vian (lequel venait d’introduire la science-fiction en traduisant quelques nouvelles devenues des classiques), Pierre Kast ou Stephen Spriel (pseudonyme du martiniquais Michel Pilotin qui ne joua qu’un faible rôle dans la conception de la première exposition française qui eut lieu à La Balance) et quelques autres. Cette exposition titrée Présence du futur se tint du 3 au 31 décembre 1953. La préparation avait duré plusieurs mois : Jean Boullet, Jacques Sternberg, Philippe Curval, Jean-Paul Clébert, nous rappelle Pierre Versins, dans son irremplaçable Encyclopédie, l’Encyclopédie des encyclopédies si je puis dire, y participèrent. Il y avait des magazines américains que Jacques Bergier avait portés, des peintures qui étaient en rapport avec les univers de la science-fiction, des photomontages de Jacques Sternberg, des objets divers. La bibliothèque idéale avait été reconstituée méthodiquement. Philippe Curval y apporta sa science bibliophilique. Sa personnalité fit le reste.  

« Jean Aubier était auréolé, nous dit Curval, bien avant l’ouverture de la librairie de science-fiction et l’arrivée de Valérie Schmidt. Il tenait cette librairie. On y lisait les poètes, Frénaud, Ponge… il avait lui-même assisté à la représentation de la pièce de théâtre de Picasso.

L’ouverture du Club du Livre d’Histoire où travaillait Sternberg a permis de nous faire vivre Valérie Schmidt et moi-même le temps de la constitution du stock et du passage d’une spécialité à une autre. Je crois que seul le peintre Henri Baudin est resté fidèle quelques temps. Jean Aubier s’est remarié et la situation n’a pas duré (rires) et à sa mort les descendants on liquidé les biens et ce qui restait des laboratoires Aubier-Montaigne… une eau de jouvence si je me souviens bien (rires).

« Jacques Bergier et un avocat dont le nom m’échappe, nous dit valérie Schmidt, chantaient nous sommes des pataphysiciens abstraits, nous sommes des pataphysiciens abscons. François Le Lionnais, avec lequel je me suis également bien entendu, revenu lui aussi de la déportation… Michel Butor, j’avais présenté les pages de son premier manuscrit, Passage de Milan je crois, texte que je n’aimais pas (il le savait) et auquel je préfèrerais plus tard l’admirable le génie du lieu. » 

 

PSI

Le Petit Silence Illustré, né de l’éternel dimanche dans lequel risquait de s’enliser Jacques Sternberg, naquit sur des pages jaunes et dans un format plus haut que large, un bout jour de février 1955. Il a raconté à plusieurs reprises la génèse de cette revue périodique, plus tard intitulée fanzine (contraction de fanatique et de magazine). Funzine serait plus juste. Fanatique du funny, du rire, de Mad.

Description du numéro 5 juin-juillet

Secrétaire de rédaction : Francine Sternberg

Comité de rédaction : Valérie Schmidt ; Philippe Curval

Rédaction et Administration La Balance, 2 rue des Beaux-Arts, Paris.

Tél : DANton : 93-06

Club des savanturiers et L’Atome, souvenirs de Valérie Schmidt

"Quand la Balance a fermé et au moment d’ouvrir l’Atome, nous devions prendre un local avec Pierre Bailly et tout de suite la folie des grandeurs, la recherche d’un lieu dans le 7ème    arrondissement. Je ne crois pas à ce qu’est l’élite, ni à ce qu’est la minorité, il y avait une fausse piste sur laquelle Pierre Bailly risquait de s’avancer. Nicole est entrée encore plus directement dans sa vie, en l’épousant. Lui faisait partie aussi de ces personnes intelligentes qui venaient. Je dirais (mais c’est assez prétentieux de ma part) qu’il existait comme une intelligence internationale à laquelle il participait activement. Je n’en dirais pas autant d’un Raymond Queneau, plus inspiré par le terroir si je puis m’exprimer ainsi… Le Club des savanturiers qui a devancé la création de ma librairie de science-fiction a été une des manifestations de ces intelligences dont je parle : Jacques Bergier, Jean Rostand, Boris Vian, France Roche en était aussi je crois, François Le Lionnais, et d’autres. Il y a eu quelques réunions en appartement assez mémorables. Si on prend Michel Laclos ou Romi, c’est plus du côté de l’arrangement combiné. Chez Romi, dans son magasin d’antiquités, je trouvais que c’était triste mais tiré au cordeau contrairement aux autres lieux qu’étaient Le Minotaure ou l’Atome."

 Lettre de Jean Ferry à Saintmont

Témoin de cette intelligence, Jean Ferry a écrit dans une lettre adressée à Saintmont le mercredi 16 décembre 1959. Son commentaire objectif et amusé et pertinent sur la question du futur en littérature rejoint les points de vue de spécialistes plus strictes : romans trop longs et souvent laborieux, excellence de la nouvelle ou du conte bref (short sories) et surtout difficulté de la traduction qui ne parvient presque jamais à restituer le ton du récit. « Je ne sais absolument pas pourquoi, il n’y a pas une magie particulière du langage dans la science-fiction, mais une fois en français, les meilleurs (j’ai essayé) deviennent stupides. Qu’est-ce que ça doit être avec les mauvais ! De toutes façons, ce que la science-fiction a produit de mieux, c’est Valérie (Valérie Schmidt), une jeune (enfin, plus tant que ça) femme d’une rare beauté (à mon avis, mais je peux me tromper) et d’un très grand charme, qui tient rue de Seine, la librairie L’Atome où l’on ne vend que de la science-fiction. Le magasin est un étroit couloir, toujours bondé plus d’admirateurs de Valérie que d’acheteurs prodigues. Je connais Kast personnellement. C’est un personnage très cultivé, comme on dit, beaucoup plus capable que moi de comprendre la philosophie de la science-fiction. Il est grand connaisseur. Il était réellement très ami avec Vian, et peut avoir rapporté sa pensée, ou l’avoir extrapolée. Mais Kast est un type assez tourmenté, pas du tout à son aise dans sa peau, on dirait dans Dekobra : bourré de complexes. » (Cymbalum pataphysica)

Enquête de Jacques Sternberg dans Arts

Jean Ferry répondit également à une longue enquête sur le sujet, conduite par Jacques Sternberg pour l’hebdomadaire Arts. Il y cite volontiers Platon, Dino Buzzati, Clifford Simak et Valérie Schmidt. Que recherchez-vous dans un ouvrage de science-fiction ? les réponses :

Raymond Queneau. – L’atomisation des préjugés.

Jean-Paul Clébert. – Une description minutieuse et non anthropomorphique d’univers différents du nôtre.

Jean Ferry. – La réalité.

Beaucoup de lucidité également chez d’autres personnalités, demandant quelquefois l’impossible à une littérature de masse (lire avec une massue) : Marcel Béalu, Hubert Juin, François le Lionnais, Pierre Kast, Armand Lanoux, Claude Chabrol ou Robert Benayoun. Ce dernier peut résumer un carrefour d’ambitions ainsi : « Je crois à l’avenir de toute œuvre imaginative, féroce, subtile ou subversive, qu’elle foule ou non les sentiers de la science. Je ne crois pas non plus à la science-fiction qu’au protergent à la chlorophylle, à Jacques Tati ou à la poudre de perlimpinpin. »

Et Valérie Schmidt, quant à elle, responsable de la librairie de ce nouveau genre entre 1953 et 1959, avant de poursuivre l’aventure par son métier de galeriste, demandait aux auteurs de ne pas « oublier les deux plus belles choses de la vie : l’espoir en l’homme et la joie. » (Arts)