Gebe
Jean Ray
Contes bref (influence)
Il y aura eu plusieurs auteurs influencés par la lecture de la Géométrie dans l’impossible. Dans les années 60, un certain Julien Parent en écrivit en reconnaissant sa dette surtout par voie épistolaire. Il est peut-être celui qui est à l’écran dans le film de Boris Lehman, réalisateur libre et sans contraintes de production, ayant signé quelques récits qui lui ont valu d’être au sommaire de Hara Kiri ou de l’anthologie les chefs-d’œuvre de l’humour noir (Planète). Un recueil intitulé Petits textes marrants reprend le format de la revue périodique le petit silence illustré, 27,5 x 10,5 cm. De la hauteur donc, quelque chose de vertical et d’élevé. Lisons : « La cicatrice A chaque fois, les femmes lui posaient la question. – Mais d’où provient cette cicatrice en forme de grille que tu as sur le ventre ? Demandaient-elles. Un jour il avoua la vérité. Dans sa jeunesse, il avait aimé un poêle. » Dans les années 80, Dominique Sciamma, lui aussi lecteur assidu des Contes glacés et doté d’une imagination d’ingénieur en intelligence artificielle, écrivit un recueil inédit de plus de 100 pages, un mini-récit par page. Il en proposa au journal Le Monde, suite à ceux que Sternberg avait publié. Le Monde refusa ces mondes sarcastiques. La revue Le fou parle, pourtant mieux inspirée par le dessin ou les récits désopilants, refusa aussi les récits d’un inconnu. Lisons : « Cinéma vérité Dès les premières scènes, les spectateurs connaissent le meurtrier. Et l’affaire ne se dénouait qu’à la fin du film après que la police soit descendue dans la salle tabasser quelques un d’entre eux. » ou encore : « La chute Il avait été dit qu’au jour du jugement dernier, les élus se trouvaient assis à la droite du père. Il en avait été ainsi, et les élus s’accumulaient à la droite du père. Mais le banc était trop court et Dieu tomba sur terre. » La collection « Points-Virgule » (Seuil éd.) refusa à Jacques Sternberg lui-même les mini-récits en une phrase dont certains avaient déjà été publiés dans le supplément dominical du journal Le Monde. C’est dans le milieu des 90 qu’Éric Dejaeger reprit le flambeau, sous l’influence conjuguée de Jacques Sternberg et de Richard Brautigan. Comme le second était déjà mort il lui restait à se faire connaître du premier qui vivait quelques méventes malgré ou à cause de ses mini-récits sur Dieu. Elagage max… préfacé par l’auteur du désormais classique Géométrie dans l’impossible contient quelques récits mémorables, du domaine de l’humour noir. La tête, le chercheur, le choix du héros… sont des diamants de cette « irrévérence » made in belgium. Lisons encore : « L’influence de Marcel Proust Il ne vivait que les heures oubliées, les instants disparus, les souvenirs envolés et les grains de sable concassés au marteau-piqueur du sablier temporel. Il fut tellement absorbé par sa recherche du temps perdu qu’il ne pensa jamais à mourir. Chaque semaine, une femme de ménage venait prendre les poussières et les toiles d’araignées de son avenir. » « Ailleurs Sur une autre planète, tous les gens mouraient. Difficile à imaginer, d’autant plus qu’ils mouraient tous dans la crainte de vivre un jour. »
Qu’il torture la poésie ou qu’il invente des faits-divers burlesques, Eric Dejaeger est bien un héritier direct de J.S. |
Librairie (sur le web) Un an ou presque avant sa mort, on discutait au téléphone, moi à Nice et lui à Paris. Il ne sortait plus de chez lui. Il était inquiet, puis calme, puis interrogateur. Le monde de dehors ne lui « parlait » que par bribes. Il me dit : – où sont mes livres ? On ne les voit nulle part en librairie. C’était presque vrai. Cependant, la librairie sur le web a redonné de la visibilité à bon nombre d’écrivains dont les ouvrages sont difficiles à trouver, aussi bien en neuf qu’en occasion. La bouquinerie a formidablement profité de cette dynamique du réseau électronique mondial, situation que l’auteur de La sortie est au fond de l’espace n’a pas explorée dans la liste de ses conjectures. Il est en excellente position sur l’un des sites de vente (355) et à titre de comparaison indiquons le résultat pour quelques autres : François Caradec (146), Philippe Curval (121), Raoul Mille (136), Louis Nucera (166), Alphonse Boudard (329), Rémo Forlani (105), Albertine Sarrazin (228), Nathalie Sarraute (431), Sylvie Caster (29). Bien sûr les chiffres varient d’un site de vente à l’autre, mais dans les mêmes proportions. L’intérêt pour le néophyte, outre les prix attractifs, est de visionner la couverture de l’ouvrage, de le découvrir à travers son format et sa fabrication. Telle est caractéristique de la librairie aux entrées et sorties innombrables.
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Panique (le groupe) Du groupe Panique on peut dire que J.S. en est, comme annexé. Refusés du Surréalisme vieillissant, certains des membres crient plus fort que d’autres au théâtre, écrivent ou dessinent comme Antonin Artaud aurait rêvé. Hara Kiri est pour eux, l’humour bête et méchant repousse les frontières du rire. André Ruellan n’oublie pas ses connaissances en médecine lorsqu’il parle de « cure d’effroi » à propos du théâtre du Grand Guignol. Jacques Sternberg est l’écrivain irrégulier chez les Surréalistes au catalogue des éditions du Terrain Vague. Topor et Arrabal y feront irruption, à travers herbes folles et ronces du terrain du Cherche-Midi. La science-fiction et les phénomènes conjecturaux ne sont jamais absents de toute cette confusion trop cosmique pour que l’homme essaie de la réorganiser. Quelques-uns font ça en jouant aux échecs ou au go, d’autres décryptent les récits ou les icônes en pataphysiciens. Le dieu Pan survient, joue de la flûte ou du saxophone et fait fuir les survivants, tandis que le fou et la reine tombent et les verres de vin blanc sec avec. Prendre les jambes à son cou est une expression qui résume le Panique, moment intense de covalence avec « la » Panique. Le dessin de Topor utilisé en couverture pour la réédition de 188 contes à régler (Folio) illustre à la lettre le syndrome des jambes trop lourdes et il est déjà trop tard pour que celui tenté par l’ascension accélère sa progression. Rire dans l’épouvante, ressentir l’effroi en souriant, composer avec son angoisse le temps d’une vie sur Terre, telle est le programme révolutionnaire d’une survie qui se veut quelquefois au-dessus de la vie (celle dite de tous les jours) et non dans les mirages d’une « vraie vie » ailleurs, mais où ? Une universitaire, Madame Pauline Forges, a proposé une thèse à l’université libre de Bruxelles sur la possibilité de considérer les récits Histoires à dormir sans vous et Histoires à mourir de vous comme un héritage du mouvement Panique. S’il y a là quelques exemples de contes pouvant attester d’une appartenance périphérique, l’auteur de la thèse n’a malheureusement pas eu accès à certains textes parus en revues périodiques prouvant historiquement un rapprochement de Sternberg des membres fondateurs du Panique. Outre la préface au recueil Les masochistes de Roland Topor (Le Terrain Vague, 1961) qui fais suite à la découverte du futur célèbre dessinateur par Arts en 1960, toujours, il faut retenir deux comptes rendus ayant échappé à la recherche de Madame Pauline Forges : Arrabal, Théâtre II (Fiction n°100, mars 1962) et plus tard Jodorowski, Ephémère happening (Midi-Minuit Fantastique n°13, novembre 1965). A propos d’Arrabal, il écrit : « Amer, grinçant, volontiers morbide, avec ses racines plongeant aussi bien dans la réalité de tous les jours que dans l’irréel, le théâtre d’Arrabal ne s’encombre ni de conflits culinaires ou ancillaires, ni de drames psycho-sexuels, pas d’avantage de discours signifiants ou de réquisitoires : sa cible, son décor, son thème de prédilection, c’est notre époque, ce qu’elle contient de cruel, d’aberrant, de sinistre, de délirant ». A propos de Jodorowski, il écrit : «Oui, définitivement oui, on le peut. C’est affaire de génie. Et on peut donc se passer de la parole, de cette sacro-sainte parole qui, au théâtre, noue et dénoue les conflits (…) Je ne crois pas me tromper en affirmant que ce théâtre-là, bien plus sûrement que celui de Billetdoux, Ionesco – l’actuel – ou même Beckett, annonce un nouveau théâtre, une forme d’expression résolument moderne, fondée avant tout sur l’humour, la terreur, le fantastique et la démence ». Il n’en faut donc guère plus pour relier une grande partie de l’œuvre de Jacques Sternberg au Panique. Mieux encore que les récits choisis par Madame Forges, son théâtre s’impose comme d’une approche du Panique. Il relève principalement de l’entreprise de démolition des conventions, dans l’héritage des Marx Brothers, à commencer par C’est la guerre, monsieur Gruber représentée à la Comédie Française fin 1974 mais dont l’écriture est bien antérieure et dont l’édition en 1968 au Terrain Vague prouve, si besoin est, sa participation à un antimilitarisme furieux contesté par les enragés et les révoltés de la génération des baby-boomers. |
- A Trouville, extrait du blog de Dorothée Blanck
- A la barre et à la baille, chronique sportive de Jacques Sternberg, le Monde 1974
- Jacques Sternberg, barreur de dériveur, Eric Dumont, Catalogue centre du Botanique, 1989
- Quand la plaisance devient déplaisante, chronique sportive de Jacques Sternberg, le Monde 1977
- Extrait de l’entretien avec Denis Chollet,au café du Flore, Paris, 1985
- Quelques Anthos Planète
- Etude de Denis Chollet, première partie (à suivre)
Les Anthologies Planète, autant que je me souvienne, furent pour nous, garçons de la province profonde, cancres hébétés devant les pages du Lagarde et Michard du XIXème ou du XXème siècle, ou le nez dans le Grand Larousse en une douzaine de volumes dans l’appartement sombre des aïeux, notre manuel de non-scolarité en plusieurs tomes. Aucun diplôme à passer, aucun examen ni vérification de conduite, ces anthologies avec un grand A ont approuvé notre zigzag dans la contre-culture. On lisait aussi des revues : Fiction, Bizarre, Jazz Mag., Lui, Hara Kiri. Le tourne-disque a vait déjà donné le signal de l’écoute des musiques du diable qui encourageaient à sortir de sa chambre, de la musique de chambre.
Jacques Sternberg avait préalablement mis ses compétences au service d’un éditeur d’anthologies,Les Productions de Paris. L’humour français, l’humour anglo-américain, le rire n’explosait pas toujours dans la direction souhaitée. Parmi les collaborateurs, on trouve Romi ou Michel Chrestien. Déjà s’imposait le format carré ré-inventé par Pierre Chapelot, maquettiste attitré de Planète qui avait également travaillé aux éditions du Pont Neuf avec Romi pour deux albums qui ont fait date (le fait-divers, l’insolite). Il devait s’imposer durant une bonne décennie. Mais tout n’était pas carré. Une polémique en témoigne. Dans Fiction (n° 142, septembre 1965) ont titrait de façon décisive : Faut-il brûler les anthologies Planète ?
Un lecteur consciencieux, Bruno Wauters, avait fait le décompte des coupures organisées dans un certains nombre de textes parus dans Les chefs-d’oeuvre de l’épouvante, rassemblés avec le concours de Alex Grall et Jacques Bergier. Jacques Sternberg avait répondu, en particulier sur la nécessité de couper dans certains (dont un récit de Erckmann-Chatrian). Alain Dorémieux, auteur et rédacteur en chef du mensuel, avait jugé comme au jugement dernier. Extraits :
Bruno Wauters : « Pour Jacques Sternberg, principal responsable de ces Chefs-d’oeuvre de l’épouvante, nous avons eu tort de lui accorder trop d’importance et de le prendre au sérieux. Décidement, nous l’aimions mieux autrefois ; alors que venant d’arriver à Paris, il mettait modestement, la dernière main au premier numéro du Petit silence illustré ». Et encore : « Et nous ne doutons point que les précieuses de l’effroi, celles-là mêmes qui se pressaient, il y a six mois, au cinéma Le Dragon afin d’y assister au Congrès international de l’Abominable, nous ne doutons point qu’elles se l’arrachent pour le laisser ostensiblement traîner sur la table basse de leur boudoir… Mais peut-être les compilateurs n’avaient-ils pas d’autre ambition
Jacques Sternberg : « Mea culpa pour Buzzati. Quoique je sois un des premiers lecteurs du Désert des Tartares du même Buzzati – à une époque où Wauters lisait peut-être Mauriac – j’ai toujours cru que son nom s’écrivait Buzatti. Cela peut arriver. On a de ces images fausses dans l’oeil, parfois. Une erreur anodine n’est pas une accablante preuve d’inculture.
D’ailleurs Buzzati lui-même est moins royaliste que M. Wauters. Il a simplement été heureux de se voir publier dans une anthologie de l’épouvante et n’a piqué aucune crise de nerfs en voyant son nom mal orthographié. Mais on sait que les critiques sont plus chatouilleux que les auteurs. C’est leur impuissance qui veut cela
Alain Dorémieux : « Il existait jadis une revue (l’ancienne édition de Galaxie) où l’irrespect des textes était une perpétuelle insulte au public. Ce qu’on pardonnait difficilement à une revue est encore moins admissible avec des livres de ce prix et de cette ambition.
En bref, le rôle des anthologies Planète est-il d’être une succursale du Reader’s Digest ?
En vérité les responsables de Planète auraient été mieux inspirés en plaçant une note liminaire en tête de cette anthologie incriminée – et d’autres d’ailleurs dans lesquelles les coupes furent également pratiquées.Mais surtout, cette polémique au temps fort des attaques contre la revue Planète et Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergier – livre qui aurait dû s’intituler « poème » et qui ne demandait pas une autre manière d’être lu – marque l’accélération du départ de Jacques Sternberg vers d’autres étoiles que celles faiblement éclairées par les cervelles du fandom. Toujours à l’affût d’une erreur ou d’une rectification à rapporter au tableau de chasse, à commenter ensuite entre petits camarades qui bientôt se critiqueront pour trahison, les garçons du fandom (peu de filles on le comprend dans ces chamaillages) ont longtemps manqué de discernement. Une chose est une conception d’ouvrage incomplète, une autre est le désir qui a participé à la construction d’un tel ouvrage. Hors les anthologies Planète, tant pis si des snobs ont contribué à l’achat des ouvrages de luxe comme ils s’étaient précipité à l’achat de la bande des Pieds Nickelés (éditions Azur) que Jean-Luc Godard avait placé dans les mains de Belmondo, ont servi d’amplificateur pour beaucoup de la génération qui attendait mai 68 afin de mieux proclamer les résultats de vagabondages et de conquêtes. Sourire, Rire, Fantastique, Epouvante, Méchanceté, Kitsch, Bande dessinée, Dessin d’humour, je cite dans le désordre les anthologies Planète qui amplifièrent notre désir
Parallèlement, Alain Dorémieux a dirigé avec maestria les anthologies Casterman toujours à une époque où être repéré avec des fascicules colorés ou non et des récits de science-fiction achetés en kiosque sous le bras ne garantissait pas l’insertion sociale.
Je me souviens d’une discussion avec Francis Lacassin qui avait été très surpris à la relecture des oeuvres de Lovecraft, pour l’édition Bouquins Laffont qui était alors en chantier, de coupures importantes décidées par Jacques Papy (traducteur comme on sait de Lewis Carroll, Ambrose Bierce, Alfred Bester, Fitz James O’Brien, Robert Louis Stevenson ou Fredric Brown). Les amateurs savent que Simone Lamblin est venu faire route commune sur cette traduction de Jacques Papy dans laquelle les longues phrases de Lovecraft étaient raccourcies. Pour un angliciste que demander de mieux que de moderniser la langue française ? On sait que Raymond Chandler se plaignait aussi auprès de Marcel Duhamel de traductions approximatives ou de chapîtres manquants mais cela ne nous a pas empêché de mieux comprendre le fonctionnement de la société moderne dans laquelle nous essayons de ne pas finir sous les ponts. Quand à Jean Ray, pour ce qui est des des aventures de Harry Dickson, on rappellera que les traductions-adaptations-inventions du maître ont elles-mêmes fait l’objet de modifications dans l’édition Marabout, que cette même édition a servi à établir les oeuvres complètes chez Néo/Oswald (éditions de luxe). Les garçons du fandom ont encore bien des choses à nous apprendre, non ? Sinon, faites comme moi : lisez Jean Ray dans l’ancienne collection du Masque à deux sous dans laquelle vous risquez de vous laisser surprendre par une erreur de pagination
Texte intégral ne signifie pas désir, mais souvent une fétichisation du texte.
Tous les écrivains ne sont pas des maniaques du tapuscrit dont tous les états doivent être conservés religieusement (voir Robbe-Grillet, par exemple). Chez Jacques Sternberg, rien de cela. Nous n’avons que quelques extraits de manuscrits corrigés que grâce à sa générosité de nous aider à mieux comprendre le déroulement de sa pratique d’écrivain. Rien de plus. Lisez à ce sujet le témoignage de Jean-Pierre Miquel qui assura la mise en scène de C’est la guerre Monsieur Gruber.
- Collages de Jacques Sternberg
- Collages, attention que ça colle bien ! (Denis Chollet)
Dans la renaissance du Surréalisme et du Fantastique d’après-guerre, quelques créateurs non référencés par André Breton ont pratiqué le collage ou le photomontage avec enthousiasme. La découverte de la science-fiction, de sa poétique ou de sa force satirique, a amplifié la chose. L’urgence à écrire, filmer ou entendre des situations inédites sous une grande variété d’angles et dans une science de l’optique non euclidienne confirmait certaines approches des surréalistes.
Roger Cornaille a créé sa librairie Le minotaure en 1947, selon lui un collage réussi entre l’hommage à la revue du même nom – sans demander l’autorisation à André Breton – et le personnage humoristique imaginé par Maurice Henry pour la chronique deL’Ecran français.
Max Ernst avait frappé les esprits par ses collages au point d’avoir longtemps intimidé les héritiers. Ni le collage ni la colle ne font le collage, il l’a dit. Le charme des gravures anciennes a joué aussi en faveur de ses mises en scène, d’un cinéma sans caméra issu de son imagination. Max Bucaille, l’autre Max, avait lui aussi les faveurs de la doxa des cadres du Surréalisme. Un recueil chez Guy Lévis Mano, publié en 1947, avait retenu l’attention de Roger Cornaille. A la même époque, celui-ci organisa quelques discrètes expositions à sa librairie : des collages de lui, les dessins de Jean Boullet sur le thème de la mandragore, les encres du hasard de Claude Richard. Un climat régnait. Un regroupement était possible sans formation d’un groupe cependant, sans appartenance.
Jacques Sternberg faisait des aller-retours entre Bruxelles et Paris et fin 1947 il était déjà un modeste client de la librairie. Il imagine des photomontages en parallèle de l’écriture de récits brefs. Encore une géométrie non euclidienne, une Géométrie dans l’impossible. Il a fait la connaissance de Eric Losfeld qui envisage la publication de ces récits brefs – en 1953 il vient de fonder sa maison d’édition Arcanes – et puis il fera la démarche de montrer le résultat de ses manipulations sous les ciseaux à André Breton. La conversation fut brève et sous le signe du malentendu. « Je crois que Eric Losfeld lui avait montré quelques collages de moi. André Breton m’a fait comprendre qu’il lui était impossible de m’exposer, que le programme ne le permettait pas. Et je lui ai répondu que j’étais pas venu pour réclamer une exposition mais pour lui montrer ou discuter. J’ai gardé l’image d’un homme d’une grande fatuité.
Philippe Curval quand à lui, a travaillé quelques temps au Minotaure, a largement contribué à l’ouverture sur d’autres espace-temps à La Balance, aux côtés de Valérie Schmidt, Michel Pilotin, Jacques Sternberg, et autres comparses. Ces nouveaux collagistes furent ce que j’ai appelé les « ombres chinoises du Surréalisme », très animées en 24 images ou plus, à côté d’un mouvement devenu « classique » qui recrutait ailleurs. Les revues Bizarre ou Fiction ont bousculé le cartésianisme dominant en France et qui domine toujours selon Philippe Curval. Le robot de 2,5 m de haut découvert par lui chez un ferrailleur fera sensation à la librairie La Balance lors de l’exposition Présence du futur.
Présence du futur, pas de futur sans présent.
La pratique du collage diminue vers 1958 avant de reprendre un peu plus tard. Entre temps, d’autres créateurs fascinants font leur entrée en scène : Jean-Claude Forest, Carelman, Ylipe, Fred, qui eux aussi vont réutiliser les gravures de jadis, les pages arrachées au Tour du Monde ou à Science et voyages ou au Monde illustré
Le mensuel Hara Kiri sera aussi un laboratoire pour quelques uns, pour ceux qui jouent du scalpel dans les vieilles images et redonnent du neuf hilarant ou insolite.
Roger Cornaille poursuivra sans souci de publier. Son photomontage pour la couverture d’un numéro du Giff Wiff édité par Jean-Jacques Pauvert en 1966 est un peu la fin de cette période de défricheurs. Il s’adonnait régulièrement aux griffonages à 4 mains (avec Claude André) sur le devant du comptoir, en attendant le client à la caisse. Jacques Sternberg en fera épisodiquement, parfois dans l’attente d’une réponse d’éditeur. Toute une série sur le thème du travail a été publiée en regard de ses parodies épistolaires (réédition augmentée chez Jean-Claude Simoën).
J’ai montré une partie de cette oeuvre, celle de Cornaille et celle de Sternberg, à la librairie Nicaise à Paris en 2001, pour ceux et celles qui veulent encore prendre des notes.
Philippe Curval a repris lui aussi l’activité. Il m’avait précisé que Losfeld lui avait vendu toute une série (des érotiques je crois). Ces dernières années, parallèlement à sa littérature reconnue à sa juste valeur partout sous les étoiles et même au delà, il a conçu ce qu’il nomme les décollages et ça tombe bien car il est l’heure de décoller.
(àsuivre)
- Jacques Sternberg, un des premiers clients de la librairie Le Minotaure, Paris
- Harry Kümel, in itinéraires, admirations Jean Ray
Gebe
Jean Ray
Sur Jean Ray, Denis Chollet Il y a un mystère Jean Ray : capable de s’adresser à différents lectorats, d’écrire Telle est la présentation d’une émission diffusée par France Culture, de la série Plusieurs fois au sommaire des anthologies Planète, durant ces mêmes années | Harry Kumel, Jean-Baptiste Baronian et Jacques Sternberg, à Bruxelles, 1989
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